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En aout 1991, j'avais récupéré un exemplaire de Thrasher Mag, je ne sais plus comment. Certainement passé de main en main à l'époque ou il n'était pas facile dans un coin reculé de la France de lire tous les mois ce magazine introuvable. Je n'étais pas vraiment skater, mais mes amis beaucoup plus, et baignant dans la culture hardcore/thrash/punkrock j' étais forcément touché par le phénomène. Tout à la fin de ce numéro, apres les petites annonces et les pubs diverses, il y avait une page qui semblait complètement à part de tout ce qu'il y avait dans le mag : un article avec 3 photos, dont celle d'un type avec des menottes, et la page disait "Skate World Shocked By Gator Incident". Plutot accrocheur.
A ce moment, pour moi, Gator c'était le nom d'un skater qui était accolé partout au logo"Vision Street Wear", marque phare de l'époque. Son histoire ne me disait pas grand chose, et pourtant c'est un personnage qui n'aurait pas fait tache dans un livre de Bret Easton Ellis.
Mark "Gator" Rogowski Anthony fait partie de cette génération qui a récolté les fruits du travail des pionniers du skate, Alva, Peralta et consorts. C'est la génération de Tony Hawk et Steve Caballero, celle qui est entrée de plein fouet dans le skate version "business et popculture", l'avènement de la street culture, le moment ou celui qui était bon et charismatique n'avait qu'à se baisser pour ramasser l'argent des sponsors. C'est le skate des 80s, le moment ou les rampes, le "vert", font la loi, période ou Gator devient pro à14ans, et touche 100 000$ par an à 17ans. Pas mal pour un sport de Punk. A partir du milieu des 80s, Gator est le roi, il est partout, non seulement dans les médias skate, mais aussi sur MTV, dans des clips, en tournée mondiale avec Swatch. Il est plus charismatique et plus agressif que les autres, peut être aussi plus fou, et tout le monde veut l'avoir. Il joue le jeu du business florissant de la culture skate, étant autant un étendard "fashion" pour Vision (frôlant parfois le ridicule), qu'un excellent sportif. C'est un bon client, flamboyant et exubérant, comme sur sa carte de visite ou il était écrit : "Skateboard Extraodinairre".
C'est en 1987 que Gator rencontre Brandi Mc Lain et son amie Jessica Bergsten. Brandi va devenir sa petite amie, elle a 17ans, lui 21. Il l'a fait tourner dans les vidéos Vision, l'emmène partout avec lui autour du monde, elle fini par emménager avec lui dans sa maison, à coté de celle de Tony Hawk, tout semble parfait, ce sont les années fastes. Il se prend au jeu du marketing grandissant dans le skate, quitte a devenir parfois la cible des autres skaters. Du type un peu fou et dur, capable de se battre avec des flics lors d'une exhibition, il devient un véritable objet commercial, marketé à l'extreme, extrêmement doué pour vendre son image dans un tout nouveau business, la street culture revendue au mainstream. Mais cet excès de "fashion" donnera à Vision une image trop commerciale et lisse, alors que des petites marques plus proches de la rue font leur apparition, et que les kids se tournent vers une nouvelle culture skate : le street, le vrai, pas celui stylisé dans les pubs Vision.
La fin des 80s marque l'arrivée du Street Skate, celui qu'on connait aujourd'hui. C'est nouveau, pas besoin d'équipement, pas besoin de rampe, de skate park. C'est la culture de rue, l'utilisation du mobilier urbain, et forcement les kids du monde s'y retrouvent, et les héros d'hier deviennent les ringards d'aujourd'hui. Toute la mode autour de la rampe, les figures, les vêtements, tout ça ne colle plus avec cette nouvelle culture émergente. Gator ne s'en remettra jamais, incapable comme Hawk de pouvoir passer de la rampe à la rue et vice versa. C'est la descente, longue et douloureuse. Il était la superstar et maintenant il n'intéresse plus grand monde.
Lors d'une tournée en Allemagne en 1989, Gator, saoul, saute par la fenetre d'un hôtel et s'empale la main et le cou sur une cloture, il passe a quelques centimètres de la mort. De retour à San Diego, il voit cet accident comme un signe de Dieu, et à la surprise de tous se tourne vers le christianisme d'une manière aussi abrupte qu'extreme.
Lui qui était connu pour ses frasques, sa folie, la fête et les filles, refuse dorénavant de vivre la même vie, et demande même à sa petite amie, Brandi, de se marier avec lui, car il ne conçoit plus le sexe en dehors du mariage. Il se comporte comme un vrai fanatique, on le verra même bible à la main, prêcher au milieu des kids dans des skate-parks.
Lasse, Brandi le quitte. Gator ne s'en remet pas et commence à harceler la jeune fille, à la suivre, à rentrer dans son appartement par effraction, à la menacer au téléphone.
Croyant à une réconciliation possible, Brandi l'invite à un diner. Une fois dans la voiture, ils se disputent et il la menace de l'emmener dans le désert, de la tuer et de la laisser la bas. Finalement Brandi arrive à l'obliger à la ramener chez elle, en expliquant à Gator que tout le monde sait qu'elle est avec lui en ce moment même et que si il lui arrive quelque chose, ses parents sauront que c'est de sa faute. Une fois chez elle, elle ne dit rien de l'incident et part pour New York.
Jessica Bergsten l'amie de Brandi, deménage alors à San Diego, et elle demande a Gator de lui faire faire un tour de la ville. Le 20 mars 1991, il l'emmène chez lui et comme on pourrait le dire un dimanche soir sur M6…et là c'est le drame.
Comme l'expliquera Gator à la Police, Jessica est du même moule que Brandi. Elles se ressemblent physiquement, ont la même vision des choses et sont les meilleurs amies. Toute la haine et la frustration de Gator a envers Brandi, il va la répercuter sur Jessica, dans ce qui sera certainement un moment de folie. L'une ou l'autre, pour lui, sera la même personne.
Je vous passe les détails, mais apres avoir frappé la jeune fille au visage avec une barre antivol de voiture, il la ligote et la viole. La jeune fille encore consciente, Gator décide d'en finir, il la met dans un sac de surf, l'etrangle, emmene le corps dans le désert et s'enfuit.
Le corps sera découvert le 10 avril par des campeurs, dans un tel état de décomposition qu'il est impossible de l'identifier.
Augie Constantino un ancien surfeur, était devenu le "mentor" de Gator. C'est lui qui l'avait amené vers Dieu, comme il disait. Constantino avait souffert d'un accident similaire à celui de Gator en Allemagne et en avait conclu à un signe divin, prêchant depuis aupres des jeunes .
Des portraits de Jessica Bergsten, disparue, sont placardés partout dans San diego. Quelque temps apres l'incident, Constantino accompagné de Gator interpelle une fille dans la rue, plutôt court vêtue, et montrant la photo de Jessica sur la vitrine d'un 7-eleven, la met en garde, lui disant que ce n'est pas prudent de s'habiller ainsi, à moins d'avoir envie de devenir une autre victime potentielle.
Ce moment sème le trouble chez Gator, qui prit de remords, se confesse plus tard à Constantino en lui disant : "la fille sur l'affiche, c'est moi qui l'ai tué".
Sur les conseil de Augie, il se rend à la Police, étonnée que quelqu'un viennent se dénoncer, alors qu'elle n'était même pas encore au stade de penser que cette fille avait pu être assassinée.
S'ensuit un procès, Mark "Gator" Anthony sera condamné à 31ans de prison où on lui décèlera un trouble bipolaire, expliquant en partie ses accès de folie.
Et là pour ceux qui ont eu le courage de lire tout ça, vous vous demandez pourquoi j'en parle aujourd'hui ? Simplement parce qu'il devrait être libéré sur parole en 2010, et que Gator est un des premiers héros de la street culture marketé et de ce qu'on a appelé les "sports extrêmes", et aujourd'hui oublié et anonyme, quelle sera la vie de Mark Rogowski à sa sortie de prison ?
J'ai toujours ce numéro de Thrasher Magazine, et ce petit article, et il ne reste pas grand chose aujourd'hui comme trace de l'immense talent et de la superstar qu'était Gator dans le Skate émergent des 80s. Meme si vous "googlez" son nom, alors qu'il était sur des dizaines de pubs, de vidéos, d'émissions, il n'y a quasiment pas de trace et d'images de lui. C'est aussi l'hisoire d'une partie de cette génération de "Skater Rock Stars" au train de vie trop fou, pour beaucoup oubliés et pour qui tout a été trop vite : Hosoi fera aussi un petit passage en prison pour des problèmes de drogues, Jeff Philips se suicidera en 92.
Si vous voulez en savoir plus, il y a un génial documentaire "Stoked: The Rise and Fall of Gator " sorti en 2002, extrement détaillé, avec des images d'archives, des interview de Hawk, Peralta, Caballero, Shepard fairey, les dépositions de Gator, une interview de lui depuis sa cellule, une de son ex-petite amie Brandi, les extraits des vidéos Vision de l'époque, du Show Mtv, du Swatch impact tour.... Outre l'histoire de Gator, c'est un témoignage d'une époque. A voir absolument.
7 commentaires:
Billet très intéressant je connaissais pas cette histoire, thx!
eh bé!
je dis tout pareil
Bizarre que personne n'ait encore songé à en faire un film!
bel article vieux, tres emouvant.
à mi-chemin entre les histoires extraordinaires de Pierre Bellemare et Lords of dogtown, j'ai adoré
d'autres pros de l'époque ont mal fini : Jeff Philipps, suicidé, Hosoi, emprisonné pour trafic de dope puis born-again christian....
d'ailleurs les films documentaires sur Hosoi et Jason Jessee valent le détour aussi !
(c'est mon jour de commentaires, depuis le temps que je lis ton blog...)
quelqu'un a posté cette mise a jour dans les comm, mais elle ne passe pas, alors "anonyme " si tu passes apr là, je remets ton post :
http://www.signonsandiego.com/news/2011/feb/08/skateboarding-star-convicted-1991-murder-denied-pa/
merci de l'update sur Gator
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